L’action Constructive de l’Église Catholique en Haïti
Flashes Sur L’action Constructive De L’église Catholique En Haïti À Partir De 1860, par le Rév. William Smarth
Toute réflexion sur l’action d’une religion dans la vie d’un peuple doit aujourd’hui tenir compte de deux phénomènes sociologiques : la globalisation et le pluralisme religieux. Les deux phénomènes ont des liens communs qui les rendent inséparables.
Le « petit village » que le monde contemporain est devenu rend visible la présence active d’habitants de la planète dont on soupçonnait à peine l’existence autrefois. Ce changement entre les groupes sociaux devait amener des rapports nouveaux de proximité, de tolérance, sinon de solidarité entre les religions aussi. La Constitution haïtienne de 1987 est sensible à ces nouvelles relations entre les religions. Si nous avons connu des chartes fondamentales de notre nation qui ont déclaré la religion catholique religion unique ou religion officielle, celle de 1987, dans son article 30, reconnaît la liberté des religions sur le sol d’Haïti et la liberté religieuse de chaque citoyen et citoyenne haïtiens. Le Concile Vatican II avait, pour sa part, en 1965, prôné la liberté des religions et, depuis, l’Église catholique continue de la défendre. Cette avancée dans l’effort du vivre ensemble ne doit pas pour autant confondre les religions et encore moins refuser de reconnaître leur apport au développement des sociétés. Dans cet article je voudrais tout simplement pointer l’index sur des actions de l’Église catholique qui pourraient rester inaperçues ou tomber dans l’oubli en ce moment où, dans notre pays, on a tendance à désespérer d’un avenir meilleur, comme en présagerait la fuite éperdue de ces milliers de compatriotes, qui pourrait faire penser à un exode apocalyptique. Alors les circonstances demandent à notre peuple de retrouver les sources de ses espérances et les raisons de sa résilience, devenue proverbiale.
Dans une recherche de la présence de l’Église catholique en Haïti nous devons commencer par l’œuvre d’évangélisation elle-même, la plus importante peut-être, et qui est spécifique à l’Église. Annoncer Jésus-Christ hier et aujourd’hui est la tâche première que l’Église a accomplie dans le pays, renouant ainsi avec les missionnaires du temps de la colonie. En Haïti nous avons l’habitude de retenir les péchés de l’Église qui a pactisé avec les colons dans l’infâme institution de l’esclavage et c’est grave.
Mais on ne peut oublier la présence des témoins qui ont défendu la dignité de l’être humain. Si on veut relever les valeurs morales qui tiennent notre peuple debout aujourd’hui dans le chaos de corruption, d’éloge du vice dans lequel on voudrait le plonger, on devra songer à la dignité reconnue par l’Évangile et à l’âme et au corps de l’être humain, à l’honnêteté et au sens du devoir et de la responsabilité, aux vertus de justice, de charité de miséricorde qui sont l’apanage de la Bonne Nouvelle et de la grâce de Jésus-Christ, ce que l’Église ne saurait cesser de prêcher, d’ enseigner. Que les chrétiens de toutes les confessions n’hésitent pas à déclarer devant les détracteurs le trésor d’humanisme que leur foi a légué à notre peuple.
Si nous envisageons maintenant l’apport de l’Église catholique dans le domaine social qui retient davantage l’attention de la plupart des gens, nous pouvons diriger l’antenne vers le Concordat de 1860. Malgré certaines ambiguïtés de cet accord, on ne saurait condamner tout de go le concordat de 1860, signé entre le gouvernement haïtien et le Saint-Siège. Le Concordat a en effet ouvert les portes de la communauté internationale à la jeune nation, une Haïti ostracisée par toutes les puissances politiques et économiques de l’époque : la France, les États-Unis, l’Angleterre… Bien avant 1860, le Saint-Siège avait déjà reconnu de fait la souveraineté d’Haïti quand, le 22 janvier 1824, le Pape Léon XII, le premier chef d’un État, s’adressa au Président Boyer, le saluant du titre de Président de la République d’Haïti. La signature du Concordat est le fruit de démarches sérieuses et persévérantes de tous les gouvernements haïtiens depuis Boyer pour obtenir cette importante victoire diplomatique. Les clauses du Concordat accordent certes à l’Église catholique une place importante dans la vie du peuple haïtien mais en même temps elles assurent au pays d’importants services de suppléance qu’elle seule, à l’époque, était capable d’offrir : des écoles à la capitale comme dans les provinces du pays, des soins de santé et d’assistance aux pauvres et aux vieillards. Les missionnaires français arrivés après le Concordat n’ont pas toujours fait preuve d’une pastorale adaptée à la réalité haïtienne, mais qui peut oublier leur dévouement même dans nos mornes ?
Leur présence a donné naissance à des communes entières comme Moron, Camp-Perrin, La Vallée de Jacmel. Et ces institutions toujours présentes sous des formes diverses, n’ont point démérité de la confiance nationale. Elles se sont même transformées en institutions propres à la mission de l’Église et quelques-unes ont leur place aujourd’hui à côté des grands services de l’État, tels l’hôpital Saint François de Sales ou l’Université Notre-Dame et ses différentes unités d’enseignement à travers les dix diocèses du pays. Un projet d’une nouvelle Haïti exigerait sans aucun doute de repenser les relations de l’Église catholique et de l’État. Il serait téméraire cependant d’entreprendre cette démarche, au nom de la laïcité, en condamnant, sans témoins à décharge, le concordat de 1860.
J’attire maintenant l’attention sur les années 1945, 1953, 1966 qui correspondent à des progrès remarquables dans la constitution d’un clergé indigène au service du peuple haïtien. La création du Juniorat-Séminaire de Camp-Perrin, en novembre 1945, l’ordination épiscopale du premier évêque haïtien en mai 1953, le transfert du Grand Séminaire de Port-au-Prince aux Jésuites en octobre 1953, la nomination de cinq évêques haïtiens le 15 août 1966 et leur ordination épiscopale le 28 octobre 1966, ne sont pas que des faits d’Église mais ce sont des événements qui jouent un rôle important dans la constitution de l’Église particulière d’Haïti pour un service plus efficace du peuple haïtien.
La hiérarchie catholique n’a pas su profiter du mouvement d’indigénisation consacré par l’accession de Dumarsais Estimé à la présidence d’Haïti, sans doute parce que l’Église était essoufflée après la campagne anti-superstitieuse de 1941-1942 dont les échos ne rejoignaient pas le mouvement nationaliste de 1946.
Cependant, en 1948, l’Esprit-Saint a inspiré au Père Farnèse Louis-Charles et à Sœur Camélia Lohier la fondation des Petites Sœurs de Sainte Thérèse, première Congrégation Religieuse autochtone, vouée totalement au service tant spirituel que social de la paysannerie haïtienne.
En 1960, le Père Louis-Charles fondait la branche masculine de cet institut : les Petits Frères de Sainte Thérèse. Ces deux communautés religieuses, répandues à travers tout le pays accompagnent, sans faire de bruit, mais de façon efficace et merveilleuse, les paysans abandonnés à eux-mêmes ou souvent à des ONG qui cherchent à abêtir le peuple haïtien. Ces religieuses et ces religieux dans le travail des jardins aussi bien que dans la transformation des fruits, dans la construction de routes de pénétration, aussi bien que dans la conscientisation du peuple, dans l’alphabétisation aussi bien que dans les premiers soins aux malades ne le cèdent à personne en Haïti.
En 1956 paraît en Afrique, en France et en Haïti un petit livre, trop peu connu de nos compatriotes, intitulé Des prêtres noirs s’interrogent. Les auteurs sont des prêtres africains et des missionnaires spiritains haïtiens qui travaillent en Afrique, tels Gérard Bissainthe, Jean-Claude Bajeux, Ernst Verdieu et le Père Jean Parisot, prêtre haïtien, curé de Baînet. Pour l’Église catholique le livre rejoint la pensée de Jean Price Mars, de Frantz Fanon : la recherche de l’identité des Noirs. Le Père Parisot, pour la première fois peut-être dans l’Église catholique, invite à rechercher les valeurs positives du Vodou. C’est tout un mouvement culturel qui se produit à l’intérieur de l’Église catholique en faveur du créole, de la musique haïtienne. Le Père Joseph Augustin et le Père Frantz Colimon SMM sont des pionniers dans la création de chants inspirés des rythmes du Vodou et des chants de paysans au travail et accompagnés du tambour, du tchatcha. Le Concile Vatican II de 1962 à 1965 promeut la culture de chaque pays dans la liturgie de l’Église et consolide ainsi le mouvement de mise en valeur de notre culture.
Vers la même époque l’Église entreprend une pastorale de développement social surtout auprès des paysans.
Elle fonde des centres d’accompagnement qui seront reconnus par la hiérarchie : à Laborde DCCH (Développement Communautaire Chrétien d’Haïti) à Papaye, Mouvement de Paysans de Papaye (Hinche), centres de recherches et d’accompagnement de la paysannerie à Salagnac et à Madian dans les Nippes.
Mais des prêtres et des laïcs s’engagent dans la conscientisation et l’accompagne -ment des paysans : au Cap-Haïtien IDEA, à Gressier ITECA. La Caritas internationale introduit ses services des pauvres en Haïti pendant que Justice et Paix s’applique à l’éducation sociale des fidèles et à défendre les droits des victimes. Le Frère Francklin Armand consacrera cette inspiration de services dans la Congrégation des Petits Frères et des Petites Sœurs de l’Incarnation qu’il fondera respectivement en 1978 et en 1985. Qui peut nier l’importance des lacs collinaires de Frère Armand qui sauvent une partie de la paysannerie de la sécheresse à travers plusieurs parties du pays ? A partir de 1972 un plaidoyer d’un autre genre est lancé par des prêtres haïtiens aux Bahamas, à Miami, à Brooklyn et à Montréal en faveur des réfugiés haïtiens qui fuient la dictature des Duvalier. L’épiscopat d’Haïti et celui de la République dominicaine établissent aussi une pastorale d’assistance aux émigrés des bateys dans le pays voisin. En 1982, on retrouve l’Église dans les premières lignes du combat contre l’extinction des cochons créoles du paysan haïtien.
Les années 1980 sont riches en actions de l’Église qui soutiennent la lutte du peuple haïtien pour sa sortie de la dictature et pour l’avènement de la démocratie chez nous. D’abord, en novembre 1980, la Conférence Haïtienne des Religieux (CHR) avec une audace inattendue rompt le silence de l’Église et défend les journalistes et les politiciens qui avaient entrepris de réveiller la conscience nationale contre la dictature.
Elle reprend pour Haïti la déclaration libératrice du Pape Jean Paul II au Brésil : Quand les droits des pauvres sont menacés, l’Église doit lever la voix. Elle sera suivie de la protestation du Nonce apostolique et de l’Episcopat. Le 9 mars 1983, le Pape Jean Paul II visite Haïti, soutenant l’action de défense des droits humains entreprise par l’Église catholique en novembre 1980, lance son cri inoubliable « Quelque chose doit changer ici » et son appel en faveur des pauvres : « Il faut que les pauvres de toutes sortes se reprennent à espérer. »
L’Église est donc résolument debout aux côtés des pauvres, des opprimés. A la suite du Concile Vatican II les assemblées générales des épiscopats latino-américains et des Caraïbes (Medellin 1968), Puebla (1979), Santo Domingo (1992), Aparecida (2007) offrent aux chrétiens de ces régions un enseignement social qui les encourage à entrer dans la lutte contre toutes sortes d’injustice, d’oppression qui entravent la liberté que le Christ leur a méritée dans le mystère de sa mort et de sa résurrection. L’Eglise d’Haïti bénéficie de ce mouvement grâce aux voyages en Haïti de plusieurs prêtres ou religieux ou religieuses des Églises sœurs et l’épiscopat d’Haïti se fait le héraut de nombreux messages d’engagement politique et social pour le changement en Haïti. Cette option pour les pauvres sera affermie par la théologie de la libération et dans la pratique par les milliers de Communautés Ecclésiales de Base (CEB), les Ti Kominote Legliz (TKL) qui s’efforcent de vivre dans leurs quartiers l’Évangile comme un service de justice et de charité. Cette expérience chrétienne aidera la mobilisation politique contre la dictature et en faveur de la création des institutions, tels que le référendum pour la Constitution de 1987 et les élections présidentielles démocratiques du 16 décembre 1990.
Si la célébration du deuxième centenaire de notre indépendance a été ternie par de malheureux événements politiques, l’Église, elle, a eu, en décembre 2003, de dresser un bilan de ses nombreuses activités spirituelles et sociales et elle en a profité surtout pour lancer un appel pressant à tout le pays pour une prière plus fervente pour tous les besoins de la patrie et pour un dévouement plus généreux de toutes et de tous au service de notre nation. On la retrouve encore, meurtrie par le tremblement de terre du 12 janvier 2010, mais compatissante et hospitalière pour tous ceux et toutes celles qui s’adressaient à elle dans leur grande misère.
L’objectif de cet article n’était pas d’élaborer une étude historique qui, sans aucun doute, aurait relevé les limites ou même les aspects négatifs de certaines actions de l’Église, ne serait-ce qu’au sujet du concordat lui-même ou de l’enseignement de nos écoles catholiques, comme je l’ai fait ailleurs, dans mon ouvrage d’histoire de l’Église catholique d’Haïti 1492-2003. Ici j’ai voulu tout simplement rafraîchir la mémoire de ceux et de celles qui voudraient désespérer de l’avenir du pays et qui pensent qu’on n’y a jamais rien fait de sérieux en leur présentant une suite d’actions encourageantes et porteuses d’espérance d’une institution que je connais et que j’aime malgré ses erreurs pastorales et ses faiblesses : l’Église catholique. Il serait peut-être utile, en ces temps de démission, que d’autres citoyens essaient le même pari dans d’autres institutions ou dans d’autres secteurs de la vie nationale. Je demande alors à ceux qui condamnent notre pays à un déclin sans retour de reconnaître que Dieu aidant, des citoyens et des citoyennes qui ont aimé ce pays lui ont permis de réaliser des avancées importantes dans son histoire et que cette race d’hommes et de femmes n’est pas encore éteinte.
Mgr. Frantz Colimon
https://reflets.online/wp-content/uploads/2017/10/RefletsMagSeptNov2017.pdf
Reflets Magazine September-November 2017 – Page 7, 8, 9