LE MANIFESTE

SUR LA ROUTE DU CINÉMA par Dan Albertini

Personne n’est encore réveillé, le coq dort avant l’aube à Brochette. Ici, on est le titre de son démêlé, ce sont les us du terroir et l’audace du rêve d’évasion. C’est le testament d’un artiste décédé, une critique fictive, un scénario imaginaire, un portier. Jean-René Jérôme artiste.

Le portier ronfle, dort du sommeil profond. Des personnages dansent dans son rêve, c’est le rituel de l’atelier. Il voit. Simil, laissez passer. Séjourné, avise le maître. Cédor, regarde la marchande. Booz, tronc, marbre sculpté. Le rêve s’estompe, un autre. Saint-Brice, un esprit. S’éloigne, oh lui ! Lebreton Chante Yvonne. Le premier revient impressionniste ; Louizor, marines, rara-marchés. Change. Résonnance, ramène la muse expressionniste Laurenceau. Brésil-des-fauves, feu du temps à venir. Non, le tigre n’est du terroir, il se dédouble. C’est Duval. Le rêve s’estompe brutalement. Raljo crie : un chien, il espionne ! Lafontant. Janitor se rappelle du manifeste laissé la nuit au bord de la table après une danse envoûtée, ressent une chaleur intense. Il croit à une EHC (expérience hors corps). Non ! La bilocation lui est fatale.

Janitor s’assumait d’une mauvaise habitude. S’endormir un bord du drap sur le visage par peur du noir dans un pays sans lumière. Le tissu lui resta collé à jamais au visage. La chaleur étant si brûlante qu’il partit momifié sans rentrer du rêve. La grenade explosa non loin et mis le feu. Un tank à gaz alimentait l’atelier en feu. Qui pouvait l’imaginer, la machine répressive renaissait avec plus de rage. De violence. Octobre 1979, il n’y avait plus de lutte, le pays était drapé du bonheur de la résignation. C’était une sourdine, Bernard était ami du pouvoir. Juste un papier, une encre, une signature dessus. Le chien espionnait, le manifeste de Jean-René allait tout bouleverser l’espace d’un soir en s’oubliant sur un coin de table. Il releva la forme d’un visage momifié. Janitor. En fit un bronze, le sculpta. Puis une toile. Tournoya tout autour pour accompagner l’âme fracassée maculée restée allongée sur la natte. Une croyance.

La quête. Jean-René Jérôme fut cet artiste initié multidisciplinaire timide resté danseur impressionniste passionné, des raras de Louizor. Intellectuel autodidacte de famille éduquée touchant du bois, l’esthète de niveau reconnu à travers plus d’une culture et heureux de faubourg qui ne soit enfant de l’École-nationale-de-Paris, convoitait ce chercheur qui traque ses frontières par la rage contenue. Le masque du visage momifié de Janitor allait reforger creuset et culture. Un bronze dont le creux des concaves reconduits sur tissus comme méthode de travail d’une démarche personnelle en ébullition qui sculptait du bois pour combler ce creux, cachaient une théorie du schéma. La danse comme motion pour leur coller l’âme en chantier qu’il transporta avec lui, rentrait dans une carte conceptuelle. La technique tardive si elle forgeait l’empreinte grandissante de cet artiste phénoménal, son esthétique était puisée intimement dans les couleurs de transes locales qu’il figeait avec l’outil disponible de tous ses arts en mémoire sémantique. L’échec de l’essai était donc art dont on ne saura nier une dilettante fumigène. Audace était évasion d’automatiste. Subterfuge spiraliste était confusion. Lyrisme poétique était cruauté insulaire. L’atelier fut un laboratoire contre la vocation, où l’on devait cueillir la beauté telle qu’elle est perçue, non comme elle devrait être par structuralisme. C’est en outre la grande faiblesse du Jean-René en quête-de-technique-tardive, inconscient, développant la prose de ses propres méthodes, proximité sémantique comme un moine en cheminement. Négociait entre art et apprentissage par le bras fort de l’éducation familiale, dans un pays où l’héritage est indéfinissable en le prenant par les points de couture du marronnage ancestral. Une nature de mémoire épisodique. Le travail de Jean-René prenait donc une bretelle pour soutenir ce corps historique trop lourd. Il aurait fini par imposer ses techniques, son esthétique, sa signature, culture procédurale personnelle. Une culture où l’Haïtien en soi, savait ce que disait la silencieuse-citoyenne : provocation. Vu par le lafontisme c’était un risque noiriste à ne suggérer. À dompter. À éliminer. La grenade.

La provocative. Jean-René avait ainsi rompu avec l’esthétique paysanne momifiée à travers une cuisine-grenadine-touristique suggérée-giraffidae par le gain du dollar exotique. Certains pensent à ce besoin-Malraux d’une vision métaphysique de l’Haïtien, un dérivé d’images d’archives françaises du colonialiste ; traquer de Nègres en Afrique jusqu’au cales entassées de bateaux négriers transatlantiques. Tandis que d’autres croiraient de préférence aux effets tardifs de la pensée américaine d’invasion de 1915, pur enfant de Eugène P. Lyles Jr./What shall Haiti’s fuure be ? (croquis invasionniste que l’on retrouverait plus tard dans Take Haiti by Force & Deven E McPherson/Intelligence & peacekeeper in Haiti) qui nous décrivait ainsi dans ses récits, colonnes de World Works Magazine. Toujours de WWM, George Marving, Assassination & Intervention in Haiti et, Helping Haiti. Tout pour provoquer un indigénisme déjà né qui se perd dans un symbolisme exclusif de bourgade pour se faire nationaliste. Entre parenthèse, nous en sommes encore en panne car n’ayant l’image collective nationale acceptée. Révolte intellectuelle dure, vécu infertile du frankËstein en art emprunté transféré par œuvre multi Céphale. Zago loraj, provocation inutile. Reconverti. L’œuvre.

Jean-René est issu de cette éducation de migration qui secrètement commençait à se refuser la cathédrale de Petit-Goâves, [Jean-René, disait ma grande double-cousine Andrée Férus (ses premiers amours), se voulait d’une liberté totale tôt dans sa jeunesse au point de vouloir « s’essayer en même temps avec les garçons »], jusqu’aux icônes timides par le bas de la rue Bonne-foi. Cédor dirait un artiste dans l’âme, Hector Hippolyte verrait mieux une réclamation de lwas. Les danses voluptueuses de l’atelier étaient un effet mélangé de tout ça.

Ésotériste endogène de philosophie passive, artiste en délire introverti qui partait en guerre en espace inconnu, Jean-René transporta sa réalité. Retournait enrichi de l’insaisissable. Était-ce une période, mais l’histoire ou la perception du masque de Janitor se transforma en chien affamé squelettique. En masque de femme sans crâne, visage surréaliste au milieu de fleurs hors serres. Dénoncer les geôles de prisonduvalier gérée par un cerveau macabre identifié RL. Jean-René montre les effets, ne socialise pas avec les moyens. C’est une voix-muette, silence noctambulisme des invectives théâtrales du FrankËstein qui mime l’assassin. Il a connu autre chose que la vente du sang et des cadavres, Rue St. Honoré. Il commençait à insuffler une nouvelle esthétique chez le peintre, dans les arts, de par ses travaux personnels, ses collectifs d’ateliers, ses relations partagées, sa réflexion spirituelle. De la double-proximité Séjourné-Simil. Il est le nouvel œil qui s’installe. École de la beauté que plaide Lerebours.

La critique parle d’invasion. Un triumvirat partit dans les mœurs de la population, dans la manière comme dans la matière. L’école de la beauté comme toile de fond d’une démarche difficile à définir. Une date. Juste avant 1980, 1979, quand un pape viendra dire assez. Non pour la violence mais pour un président qui doit partir. L’église en charge de la cause. C’est aussi la rupture politique qui prive un développement de son esthétique qui nourrissait surtout en dualité, que Lerebours titre Double Résonance. Un drame à éviter pour les arts car Jérôme et Séjourné allaient naturellement se scinder tout en restant plus proche de Simil résolument différend. L’écho se jouait donc outremer en dévotion autour de Laurenceau, le trio d’intérêts Lebreton-Haberg-Bourderau. Plus proche de l’intérêt bourgeois Séjourné, une double détente dramatique aussi dans la culture politico-religieuse d’un pays aux élixirs funestes.

Jean-René quitta l’esthétique de la grenadine-paysanne pour exprimer la matière et la manière dans toute sa plasticité enivrante par ses reliefs, par son volume, par ses canons et anti canons. Si Laurenceau adoucissait la misère par une esthétique de maquillage, surtout en rhabillant ses sujets récupérés, Jean-René lui, offrait une sexualité extrême à la victime, à la misère, comme pour marquer le crime, tout en lui rendant sa dignité par sa nature. Le manifeste rejetait la transformation soit par la soif-sanguine de FrankË, soit par le plasma de Lyonel. Il vivait d’ailleurs dans un cartier populaire naturel dédié, comme par une vision prémonitoire de ses moments d’extra lucidité, à une génération d’artiste qui se serait endormie de bonheur au point de ne se soucier des retenues minimalistes de comptes de l’état. Les temps de morosités économiques ont forcé la population à des resserrements financiers et l’inquiétude grandissait dans la tempérance. X fréquentait parfois la maison de A par les couloirs interdits des mœurs et du sexe. Le refus pénalisait sous une forme quelconque. Mais, la violence d’une dictature sanguinaire était souvent la norme transmise par les schèmes de la servitude dès l’enfance. Vendue. Janitor. Jean-René commençait à bouleverser une société en l’accusant sans parole.

C’est ainsi qu’il découvrit le vieux papier et le déposa à sa place de crainte de soulever la poussière des souvenirs. Si ce papier quittait sa loge, les problèmes seraient parmi les invités, ses amis. C’est ce qui le poussa à fouiller dans les caisses de papiers embrunis par le temps, dans le grenier de la mémoire. Une conscience. L’imaginaire d’un monde devenait réalité par son art. Hyppolite dirait que le manifeste a été signé de l’encre de sa conscience par la main des lwas. Simil dirait que le manifeste tomba entre ses mains avec l’effet d’une plasticité qui emporta Janitor. Booz en ferait une série de bronzes. Lerebours craignait-il qu’on eut fini par l’arrêter que la raison l’emporterait à enrichir l’histoire de l’art. Janitor choisit l’art, meurt.

Sa mort a tout changé dans le pays qui n’a vu cet exil. Il était en langage politique des nuits-Lafontant, non cet instigateur avec la plasticité tenace du corps habillé de lambeaux, de canin amaigri ab absurdo, mais d’une facture érotique à l’opposé de ce à quoi on s’attend de l’artiste en république de l’imaginaire. Legagneur rendit service, Dorcelly, Valcin II aussi. Duffaut peignait sa maladresse, donc n’accusait. Obin maria aplat des gens du Cap. Séjourné offrit au pays cet emblème Mouton Rothschild/Château-Lafite mais Jean-René rentra dans cette phase révolutionnaire sans révolution. Le hasard peut s’en emparer. Le peintre initié le craint pour sa pilosité. Il est plus qu’un rêve. Révolutionnaire dans sa poésie existentielle, cachée, son frère Michel drainait l’ambition jumelle de Jean-René. Changer le monde haïtien, à la perfection. Un tic de famille partagé avec Hervé le…. Le public l’ignora.

La maladie l’emporta sur. Art, âme politique. Atteint, il décida de filmer son trépas, écrit ainsi ce manifeste par la caméra qui dépasse son temps. Je visionne. J’ai la frousse d’une révolution perdue car. Quand il vint aux funérailles de mon père, sa transe l’emporta déjà. Sa mort n’a pas cloner une conscience religieuse locale. Elle est d’ailleurs ce stade primitif second de la géométrie primaire de conscience religieuse haïtienne étourdie. Sa mort a enlevé au pays l’inspiration et l’émergence d’une littérature comparée, par l’effet d’intérêt et de curiosité d’écrivains, de critiques étrangers, car le pays n’était à ce stade d’artiste légionnaire, mûr pour quitter le chromatisme de la rue ou, embrasser définitivement une recherche esthétique profonde. La littérature conséquente de Lerebours, de Gérald Alexis ou d’Eva Patakis, ne pouvait avoir de moelle sinon des essais indigénistes pour mimer le copiste parisien. L’histoire de l’art comme un fait et grandissant, et, l’histoire comme un récit d’événements aux antiquaires pour implanter la précision d’une comptabilité de la pensée entre deux ères du passé en image. Le problème se pose ainsi même pour une pensée cinématographique haïtienne. Exemple ailleurs : qu’est-ce qui influence Victor Hugo comme écrivain penseur, Quelle projection figée ou évoluée, dans une cosmogonie et une cosmographie personnelle, soit passagère soit matinale pour la vivre comme éducation, migration ou dévotion avec un statut d’acteur, de penseur ou d’observateur, avec des conséquences de portée nationale et internationale de boursier tiermondiste, d’impressionniste ou d’influence réelle. Le manifeste.

Merci d’y croire !

dan@danalbertini.co


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Jean-René Jerôme

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