Dans les Couloirs de l’Organisation

DANS LES COULOIRS DE L’ORGANISATION par Célhia de Lavarène

Dès le début de son mandat, le Secrétaire général des Nations Unies n’a eu de cesse de le répéter : le harcèlement sexuel est au top de ses préoccupations et la tolérance zéro doit être pleinement appliquée. D’après les résultats du sondage commandé par l’ONU et salué comme « le premier du genre » par Antonio Guterres, un employé de l’ONU sur trois aurait été victime de harcèlement sexuel au cours des deux dernières années.

Peu après son entrée en fonction, chaque étage du bâtiment de l’ONU – qui en comporte 38, avait vu fleurir sur ses murs des posters qui rappelaient au personnel le code de conduite en vigueur au sein de l’organisation ainsi que les suites à donner lorsqu’on veut dénoncer une agression.

Les résultats annoncés, mercredi 16 janvier en conférence de presse à New York, n’ont provoqués aucune surprise parmi les fonctionnaires.

  • Un peu plus de 30 000 employés à travers le monde ont répondu à cette enquête.
  • Un tiers des personnes interrogées reconnaissent avoir fait l’objet d’une forme de harcèlement sexuel au cours des deux dernières années.
  • Dans la majorité des cas (21,7 %), il s’agit de blagues à connotation sexuelle, remarques désobligeantes ou grivoises.
  • Dans les cas les plus graves, d’attouchements (10 % des cas) ou d’agression sexuelle et tentative de viol (1,3 %). Les victimes sont majoritairement des femmes entre 35 et 44 ans qui ont subi le harcèlement pour plus de 50 % sur leur lieu de travail soit de la part d’un collègue (un cas sur deux) soit de la part d’un supérieur hiérarchique (un cas sur quatre).

Les abus, qu’ils soient sexuels ou de pouvoir, sont communs aux Nations Unies, et peu acceptent de porter plainte par peur d’être considérés comme faisant partie du problème. Par peur aussi d’être montrés du doigt, pris en grippe par leur supérieur avant d’être purement et simplement congédiés au moindre manquement. Car comment faire lorsqu’on est détenteur d’un visa G4 délivré aux fonctionnaires internationaux et qu’on a des enfants scolarisés dans le pays où l’on travaille ? Que faire si on perd son travail, et par conséquent son visa, et que l’on a un mois pour quitter le pays dans lequel on vit depuis longtemps, parfois ?

Au sein d’une organisation multiculturelle, tous n’ont pas la même compréhension du problème. Il y a ceux, tel ce fonctionnaire, qui pense que le mouvement #Metoo a ôté aux hommes leur liberté d’expression – on ne peut plus complimenter une femme sans qu’elle porte plainte. Ou cet autre encore qui prétend que certaines femmes utilisent les abus sexuels ou de pouvoir, comme un stratagème pour prolonger un contrat qui vient à terme, sachant qu’elles ne peuvent être licenciées en cours d’enquête. Puis il y a ceux qui prétendent que certains (femmes et hommes confondus), sont prêts à être exploités pour réussir !

L’ONU a souvent eu à répondre à des accusations de viols commis par des casques bleus dans le cadre des opérations de maintien de la paix, voire par des civils. Dans le passé, elle s’est contentée de nier en bloc les accusations après les avoir ignorées dans un premier temps. C’est seulement lorsque la presse s’en emparait qu’elle réagissait en réunissant une cellule de crise chargée de gérer les accusations. De les minimiser tout au plus, sans jamais prendre toute la mesure du scandale provoqué par ces révélations. Il y a un an et demi, après d’autres scandales, une hotline avait été lancée en urgence. Interrogés sur son fonctionnement, bon nombres de fonctionnaires internationaux ont déclaré avoir eu d’énormes problèmes pour joindre qui que ce soit. Ils ont fini par abandonner.

Bien qu’il reconnaisse qu’il est bon que l’ONU ait enfin décidé de mesurer l’ampleur de la situation, Ian Richards, le président du Comité de coordination des associations du personnel et des associations internationales n’est pas satisfait :

nous sommes déçus que ce sondage se soit limité au harcèlement sexuel. Il a raté l’occasion d’obtenir une vue d’ensemble de la situation. », a-t-il déclaré, même s’il a reconnu que l’enquête était utile. « Ce qui est vraiment important, c’est de considérer l’ensemble du spectre des abus de pouvoir et de la discrimination au sein de l’organisation, » a-t-il ajouté.

L’organisation a mis en place une base de données qui compile les noms de salariés accusés de harcèlement pour qu’ils ne puissent pas être réemployés par l’organisation. L’ONU doit « favoriser un milieu de travail inclusif, où la responsabilité est constante, où le pouvoir n’est jamais abusé et où il n’y a pas de crainte de représailles », explique M. Guterres. Le harcèlement sexuel n’est que « le sommet de l’iceberg » regrette pour sa part Ian Richards : « On évite de discuter d’autres types d’abus de pouvoir et on empêche les poursuites contre les hauts responsables. »

Depuis plus d’un an, les allégations d’abus sexuels et de pouvoir se succèdent : à Genève, le patron de l’Onusida, le malien Michel Sidibé, a été accusé d’avoir étouffé des affaires de harcèlement et toléré une culture d’intimidation et d’abus de pouvoir. A New York, un officiel, chargé de promouvoir l’égalité des genres et la jeunesse au sein de l’entité ONU femme, a été accusé d’avoir eu des comportements inappropriés avec au moins huit hommes. Le premier a fini par démissionner au mois de juin, à six mois de la fin de son mandat officiel. (Il semblerait qu’il a un autre poste.) Le second a été relevé de ses fonctions.

Célhia de Lavarène

Janvier 2019


collaboration spéciale International Diplomat Global

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