RIEN NE VA PLUS

par Heidi FORTUNÉ, Magistrat, Juge d’Instruction Cap-Haïtien, Haïti

La corruption persiste en Haïti, et le problème devient inquiétant car il y a une absence de volonté politique du gouvernement pour remédier à cette situation. D’un autre côté, il y a une perception tout à fait discriminatoire et erronée du concept selon que vous serez parlementaires, officiels du gouvernement, grands fonctionnaires, petits employés ou simples salariés. Des Hommes et des Femmes d’État violent quotidiennement, massivement les principes les plus élémentaires sur lesquels reposent la vie et la survie de la mère patrie.

Il y a des dirigeants qui profitent de leurs privilèges pour utiliser, pour leur compte personnel, les fonds de retraite des honnêtes et rudes travailleurs. En France particulièrement, on l’aurait qualifié d’abus d’autorité et de biens sociaux. Ici par contre, c’est la classe, la grande mode. Les nouveaux riches arrivent sur le marché en se frottant les mains tous les matins à l’idée d’avoir coupé un gros morceau du gâteau. En fait, nous n’avons qu’un aperçu du scandale. Et si la vérité se trouvait encore au fond du puits ? Et si effectivement les arbres cachaient la forêt ? Tout est bon à prendre sans commentaire en certaines occasions. L’avenir dira le reste. Ah ! Il se passe des choses dans ce singulier petit pays que l’on ne croirait pas…

Le détournement de l’aide humanitaire destinée à une population affamée par des élus ne doit plus être pris comme une simple affaire de corruption, cela doit s’élever au rang de crime contre l’humanité avec une punition à caractère exemplaire et dissuasif.

La justice a effroyablement souffert de la crise que traverse le pays. Maudits soient les responsables qui n’en goûtent pas les horreurs ! À la manière des sparidés, ces spadassins qui ne sont autres que des tueurs à gages économiques se faufilent à travers les institutions rentables du pays pour, à la fois, sucer et soutirer la sueur et le sang du peuple en utilisant des duperies et des artifices vampiriques. Les Magistrats ne sont peut-être pas propres mais les parlementaires sont rudement sales.

Lorsque les tempêtes s’abattaient jadis sur Gonaïves, la tendance naturelle était d’y voir la punition de Dieu. Cet archaïsme a disparu depuis belle lurette du domaine scientifique cependant, on le retrouvait sur plusieurs lèvres à Port-au-Prince car il faut toujours un bouc émissaire pour faire porter le fardeau et attribuer la faute. Et on a indexé le Fils de l’Homme comme étant le responsable de nos malheurs en égrenant à son endroit un chapelet d’injures et de blasphèmes à l’instar des Pharisiens qui avaient réclamé sa crucifixion au profit du criminel Barabbas. Pourtant, le plus simple pour les autorités serait de dire : « c’est de notre faute », en essayant de trouver la cause qui explique la catastrophe. C’est apparemment moins douloureux que de mentir aux gens.

Chez nous, on développe des initiatives qui n’ont aucun sens des réalités. Ce qui ressemble non seulement au jeu de l’oie mais aussi au poker menteur. Il y a toujours cette déviation pathologique dans les discours…ce double langage nuancé qui, sous une apparence de vérité, tend à tromper délibérément. L’oligarchie au pouvoir doit renoncer à son refus de l’écoute, de comprendre le point de vue des autres. Le gouvernement doit prendre conscience du problème de sa politique de justice et de ne pas renvoyer les dysfonctionnements sur les Magistrats.

La publication des lois de réforme, il y a de cela un an, avait soulevé des espoirs qui, jusqu’à présent, ne se sont pas concrétisés. On continue à traiter la justice comme une parenthèse, et cela cristallise tous les mécontentements des Magistrats. Certes, au sein de la magistrature il y a des dérapages, et il n’y a pas plus immoral qu’un juge qui contourne la loi pour faire de l’argent. Mais, comme partout, il y a dans ce corps des humbles, des justes et des saints, il faut tout simplement le débarrasser de ses scories. Évidemment, la pauvreté n’a rien de honteux mais noblesse oblige, un Magistrat doit percevoir un salaire digne de son rang. On déshonore la justice si l’on n’y met pas la douceur, les égards et la condescendance.

La vie en Haïti, tel qu’on l’imagine, ne correspond à aucune réalité. En ce sens, nous dirons aux confrères de faire très attention dans le traitement de dossiers impliquant des dépositaires de la force publique car la police n’aide pas dans tous les cas. Nous sommes en train de faire l’amère expérience. Nous avons fini par comprendre que quand certains policiers dérapent, leurs collègues sont très attentifs à ne pas en donner l’impression voire contribuer à l’enquête parce que cela affaiblirait leur propre pouvoir en tant qu’institution. En conclusion, ils ne feront que brouiller les pistes.

Des indices laissant prévoir un événement fâcheux sur notre entourage nous ont porté à prendre des dispositions sécuritaires jusqu’à obliger, forcer même, celles à qui nous sommes intimement attaché à un séjour pénible en terre étrangère car le danger devenait imminent. Cela a provoqué un traumatisme dans notre famille au point où certains nous recommandaient de rester au tapis. Mais nous avons été éduqué à la Spartiate. Le courage et l’honneur nous obligent à continuer le combat, peu importe que notre sort soit propice ou contraire. Nous avons la passion du métier.

L’appareil judiciaire ressemble à une armée de galériens en sueur s’essoufflant sur des avirons qui, pour la plupart, ne touchent même pas l’eau. Donnez aux Magistrats l’esprit et ils écriront la lettre ; donnez-leur les moyens et ils feront des prodiges ; donnez-leur la partition et ils joueront la musique ; enfin, donnez-leur l’envie et ils écriront une page d’histoire. DocHait/26-10-08 http://heidifortune.blogspot.com/

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