La Bonne Croix et la Mauvaise Prière

La Bonne Croix et la Mauvaise Prière, par Mohamed Lotfi

J’admets volontiers qu’une gang d’étudiants musulmans de l’École de Technologie Supérieur sont maladroits parce qu’ils font de leur revendication d’un lieu de prière une affaire de liberté. La prière d’un musulman n’a pas besoin obligatoirement de local ni de mosquée. Partout où il peut reconnaître la direction vers la Mecque, le musulman pratiquant peut prier. Nul part dans la religion musulmane n’est écrit qu’un local officiel est obligatoire pour qu’une prière soit entendue ! Vous verrez bientôt dans le coin d’un parc un homme ou une femme faire sa prière. Mon père faisait souvent sa prière dans le train. J’ai vu dernièrement un musulman prier dans une église. Cependant, les quelques étudiants musulmans de l’ÉTS ne sont pas moins confus que ceux qui font de leur revendication une affaire d’État.

Avec l’avènement massif des immigrants, beaucoup de Québécois de souche, se trouvent pris entre les effets post-traumatiques d’une religion catholique, qui il n’y a pas longtemps dominait tout, et l’arrivée des signes religieux étrangers qui ravivent ce traumatisme. Le discours que j’entends sur la laïcité depuis quelques temps est pervers, pour ne pas dire de mauvaise foi. Que cherche t-on, faire avancée la laïcité ou manifester le refus de l’autre ?

Alors que des crucifix pondent encore un peu partout dans les écoles primaires et même à l’Assemblée Nationale du Québec, des voix s’élèvent contre toute tentative de retour de la religion dans l’espace publique. Y’aurait-il des bonnes et des mauvaises religions ? Et ce n’est pas vrai qu’un signe catholique dans un lieu publique est plus discret qu’une prière musulmane dans un local universitaire.

Par ailleurs, si au Québec il reste du sacré plus de croix et moins de prière, chez beaucoup d’immigrants le sacré fait encore partie prenante de tout leur être et leurs vies. C’est donc aussi une question de décalage entre des mentalités ou le besoin de spiritualité n’est plus aussi enraciné chez les uns par rapport aux autres. Parmi ceux et celles qui se sont arrachés à leurs racines, certains retrouvent dans leurs prières un réconfort qui adoucit, par la même occasion, leur exil. Pour eux, un lieu de prière c’est aussi un lieu de communion. Mais toute revendication religieuse venue d’un musulman paraît suspecte parce qu’elle est perçue à travers un autre passé religieux et les évènements du 11septembre n’ont fait qu’aggravé les perceptions. Mais on ne peut pas dire que les étudiants musulmans de l’ÉTS abusent de la tolérance de qui que ce soit. Aussi maladroits soient-il, leur revendication demeure conforme à l’esprit d’une charte qui protège les minorités. Mais devant les controverses suscitées par les médias et l’opinion publique suite à l’affaire du kirpan et celle du local de prière,  le temps serait-il venu d’une mise à jour entre la charte et les mentalités ? Daniel Baril, du mouvement laïque, rappelle lui-même que ni au Québec ni au Canada, ni dans aucune institution d’éducation, les règles de la laïcité ne sont clairement établies comme c’est le cas en France. Le vrai problème se situe donc moins dans l’acharnement de quelques étudiants musulmans qui revendiquent un lieu de prière que dans l’ambiguïté de la place de la laïcité au Québec et au Canada. Un débat sérieux et honnête sur la laïcité ne devrait pas attendre des  incidents isolés pour nourrir les amalgames. Et si on commençait par décrocher toutes ces croix, question de donner l’exemple.

Comme m’a déjà écrit un ami québécois,  »Qu’on commence par enlever la poutre dans notre œil avant de regarder la paille dans l’œil du voisin !  ». Oui à la laïcité et à la cohérence. Non aux amalgames.

ps: Michel Lacombe rapporte dans sa dernière émission que dans les universités marocaines, il n’y aurait pas de local pour la prière, cela est faux. Dans tous les pays musulmans, il y’a partout des lieux réservés à la prière. Mais fondamentalement la prière pour un croyant pratiquant, de quelque religion que ce soit, ça devrait être moins une question de lieu qu’une affaire de Dieu – société internationale/27-03-06


l’original de cet article se trouve aux archives de Réseau HEM Geneva à : http://www.reseauhem-archives.xyz/la_bonne_croix_et_la.htm


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